DIVERS - Fan fiction
Songes et Vérité de Margaret Parangoski
"Perdre, c’est connaître le vide."
Gilbert Dupuis, La Marcheuse
20 Octobre 2552 / Système Solaire, Terre, Sydney,
Centre Bravo-6 du Haut Commandement de l’UNSC.
Je ne suis pas prête d’oublier ce jour, celui où les Covenants ont franchi les défenses de la Terre et ont envahi le berceau de l’Humanité. Je ne suis pas prête d’oublier ce frisson glacial qui vient de parcourir mon échine tandis que les stations de défense orbitale Malte et Athènes s’enflamment et se brisent, fétus de paille métalliques et brisés flottant de manière erratique dans l’espace meurtri. Je ne suis pas prête d’oublier les regards vides et apeurés des membres de l’UNSC et de l’ONI qui se trouvent en ce moment-même avec moi dans la salle de crise, au fond de la Ruche.
Les forces Covenants se dirigent actuellement vers l’Afrique de l’Est pour une raison qui nous est encore inconnue. Un mystère qui, je pense, sera bientôt résolu au vue de la rapidité de l’attaque. Un attaque qui possède un arrière-goût de déjà-vu avec celle de Reach : inattendue, véloce et efficace. Dans ce domaine, les Covenants ne m’ont jamais déçue. Je ressens même de l’admiration pour eux. Un paradoxe émotionnel vous en conviendrez, au vue du génocide qu’ils sont en train de commettre. Malgré tout, un détail qui a son importance pique rapidement ma curiosité.
La taille de leur flotte est bien moindre comparée à celle qui a causé la chute de Reach. Pourquoi ? Les Covenants ont-ils une stratégie particulière pour la Terre ? Faut-il s’attendre à une attaque spécifique ? Jusque-là, elle possède toutes les caractéristiques d’une attaque conventionnelle, et les Covenants ne se sont jamais montrés très créatifs en matière de stratégie militaire. Leur supériorité technologique suffit à leur assurer la victoire dans quatre-vingt dix-neuf pour cent des affrontements. Quelque chose ne colle pas… et je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Tant pis, je garde cette pensée et la range dans un coin de ma tête avec les autres, celles qui nécessitent davantage de données avant résolution complète.
Dans la continuité, une seconde pensée s’impose à moi : la Terre allait assurément tomber. Quelles que soient nos méthodes, nous avons déjà perdu un nombre incalculable de planètes, alors pourquoi en serait-il différent pour la Terre ? Malgré sa défense spectaculaire, Reach n’avait tenu qu’une seule journée. Sur ce coup, la surprise avait été l’atout majeur des Covenants. Et voilà qu’ils récidivaient. Oui, la Terre tomberait, nous ne pouvons rien y faire… je ne peux rien y faire. Et y consentir paraît consumer les forces qui me restent.
Telle une révélation, cette idée s’empare de chacun des membres présents dans la salle de crise. Et bien que, au vue de leurs regards implorants, la plupart d’entre eux se reposent sur moi pour trouver la solution miracle, ils semblent accepter cette fatalité avec suffisamment de sérénité pour ne pas devenir fou. Et pourtant, il y a de quoi. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut assister, impuissant, à l’extinction de sa propre race.
Les minutes défilent, longues et douloureuses, des relents de panique envahissent peu à peu la pièce, une lente contamination irréversible et dangereuse, et qui est même à deux doigts de m’atteindre. Mais il m’est interdit de flancher. Et malgré mes efforts pour redonner force et courage à ces hauts membres, pour les empêcher d’être contaminés, je sens que je les perds peu à peu. Ils sont terrifiés car leur monde est terrifiant.
La vie des gens est terrifiante. On les prend à la gorge, on les oblige à travailler du matin jusqu’au soir, on leur inflige des besoins dont ils ne sont pas nécessiteux, on les abrutit de télévision et de consommation, on les égare entre deux canapés et trois cafetières. On leur interdit de rêver, de traîner, de perdre leur temps. On les use à la tâche jusqu’à la moelle.
Une véritable autodestruction assurée et consentie.
Mais aujourd’hui, la cause en est toute autre. La guerre contre les Covenants a engendré un génocide qui touchera bientôt à sa fin, et plus personne ne sera présent pour voir le rideau se baisser. C’est l’apogée de la destruction et du chaos, décuplant et finalisant cette autodestruction dans laquelle l’Humanité se complaît depuis trop longtemps. Peut-être l’Humanité mérite-t-elle son sort, peut-être mérite-t-elle de ne pas survivre.
Les gens ne vivent plus, ils s’usent à petit feu dans la douleur, la déception, les idées noires, toutes ces choses qui nous assombrissent et nous font perdre nos valeurs et notre dignité.
Alors ils doivent trouver un exécutoire dans lequel extraire un peu de réconfort, voire même trouver un sens à leur vie.
Certains se complaisent dans l’amour. Trouver quelqu’un qu’on puisse aimer, qui ne nous trahira pas, quelqu’un qui apprécie les choses selon notre goût, qui ne dit aucun mal de nous et qui prend soin de nous, qui nous pardonne nos défauts et jamais ne nous ennuie. Ces gens-là cherchent en vain un fantôme. Ils devraient cesser de perdre leurs efforts. Qu’ils n’aient d’amour que pour eux-mêmes, jamais ils ne trouveront plus aimable.
D’autres se réfugient dans l’harmonie et l’exactitude de la science. Mais qu’est-ce que la science ? George Sand y voyait une route partant du connu pour se perdre dans l’inconnu. Les efforts des savants ont ouvert cette route, ils en ont rendu les abords faciles, les aspérités praticables. Ils ne pouvaient rien faire de plus, ils n’ont rien fait de plus. Ils n’ont pas dégagé l’inconnu, ce terme insaisissable qui semble reculer à mesure que l’explorateur avance, ce terme qui est le grand mystère, la source de la vie. Une source que personne n’atteindra jamais, soyez-en sûr. L’atteindre, ce serait connaître tous les secrets de l’Univers, se serait voir l’Homme à l’égal de Dieu. Mais il n’en a pas l’étoffe et encore moins la sagesse. Une autre autodestruction assurée.
Ils leur reste alors la religion, la croyance et la foi. Si certains puisent leur force dans une puissance supérieure salvatrice, alors qu’ils continuent de prier pour l’Humanité, elle en a grandement besoin. Il est beau de rêver, mais nous devons perdre nos illusions au plus vite, elles nous empêchent de voir la vie telle qu’elle est et nous conduisent immanquablement à l’échec. Personnellement, je préfère agir que de m’agenouiller devant un concept impossible et invisible.
D’autres encore trouvent leur réconfort ou le sens de leur vie dans la guerre, dans le courage et l’engagement qu’elle demande et engendre, tels les Spartiates de l’antique Grèce aux Thermopyles. Un sacrifice patriotique qui ne mène qu’à la mort et au vide. Ça tombe bien, la guerre contre les Covenants est une offre qui nécessite encore de la demande. Malheureusement, plus pour très longtemps, je le crains.
Quant aux autres, ceux qui ne trouvent ni réconfort ni sens à leur vie, ils finissent par perdre leur humanité. Ils deviennent les déchets du monde moderne, un potentiel gâché qu’on ne saura jamais exploiter parce que notre société est un complexe mécanisme dont un des rouages est ripé, un rouage qu’il nous est impossible de réparer dorénavant. Une masse critique qui erre sans but, inutilisable, qui gangrène une société sur le déclin, qui la paralyse et l’empêche de progresser, de se relever. Si nous perdons la guerre, et nous la perdrons je vous l’assure, ce ne sera pas entièrement du fait des Covenants.
Alors, parmi ces gens inexploitables, quelques uns se mettent à boire. Boire pour oublier. Une excuse totalement factice, en réalité. Ils boivent pour se souvenir de tout ce qu’ils ont perdu. Ils boivent pour prendre conscience de tout ce qu’ils vont perdre.
D’autres ont même le courage de mettre fin à leurs jours car ils comprennent la mesure et la démesure de perdre absolument tout. Pour eux, toute chose devient un concept vide de sens et pour lequel aucune attention ne mérite d’être prêtée, pour lequel aucun combat ne mérite d’être mené.
Tout ceci me fait prendre conscience d’une chose : il y a plus triste à perdre que la vie, c’est la raison de vivre. Il y a plus triste que de perdre ses biens, c’est de perdre son espérance. Et finalement, qu’ils aient trouvé leur réconfort, le sens de leur vie ou non, les gens n’ont plus rien à perdre et c’est en cela qu’ils deviennent dangereux. La crainte de perdre engendre les mêmes passions que celle d’acquérir, car les hommes ne tiennent pour assuré ce qu’ils possèdent que s’ils y ajoutent encore, aimait à le penser Machiavel. Autrement dit, c’est lorsqu’on a tout perdu qu’on est libre de tout espérer, de tout avoir.
L’Humanité est sur le point de perdre son berceau, la source de son essence, son point zéro, son alpha. Nul doute que les derniers hommes encore debout lors de son oméga seront prêts à tout. Il me faut donc faire un choix : les laisser faire ou bien les brider ?
Pour chaque choix, il existe deux façons distincts d’envisager ses conséquences.
La première consiste à décider quel est le bon choix à faire, celui qui nous conduit là où l’on veut aller et qui nous donne la possibilité de se sentir « gagnant ».
La deuxième consiste à décider quel est le meilleur choix à faire. Et que quelque soit le choix que l’on fera, on y gagnera nécessairement quelque chose. Il n’y a ni bon ni mauvais choix, mais seulement une décision à prendre pour suivre une des possibilités qui s’offre à nous.
La deuxième façon est la plus payante évidemment : elle ne nous laisse rien à perdre, mais tout à gagner.
Savoir que l’on n’a plus rien à perdre nous assure d’une force d’action et de décision décuplée, soyez-en sûr. Nous devenons moins sensibles aux circonstances et aux arguments qui semblent nous être contraires. De toute façon, nous ne maîtrisons jamais entièrement les évènements, même si nous nous berçons constamment de cette illusion. De fait, les choix que nous faisons, nous ne les décidons jamais en connaissance totale de tous les éléments, une large partie de la réalité à venir nous est à jamais inaccessible. Et c’est en cela qu’un choix tel que celui que je dois prendre atteint une difficulté considérable. Mon choix n’influencera pas seulement mon destin et celui de quelques hommes, mais celui de l’Humanité toute entière. A la réflexion, ce choix possède un caractère presque divin. Dans ces conditions, suis-je véritablement la bonne personne ? Comment en être sûre ? Moi, au cœur de l’autodestruction dont je parlais à l’instant.
Face à une telle décision, nous devons considérer que nos choix sont porteurs d’enseignements, afin de nous libérer de l’angoisse de l’erreur de jugement, de surmonter la folie des conséquences possibles. Finalement, cela engendre une conviction, celle que nous ne faisons jamais d’erreur, que nous choisissons seulement une possibilité parmi plusieurs. Ainsi, nous n’avons plus rien a perdre, mais uniquement à rester vigilant face aux opportunités qui se présentent à nous.
De fait, dans le choix qu’il me faut prendre, l’opportunité à saisir se doit d’être tangible et réalisable.
Andréa Japp affirme que l’esprit humain ne fonctionne pas comme un ordinateur que l’on branche. Il est infiniment plus puissant. Il picore, saute d’une idée à l’autre. Il revient en arrière, puis fait un bond vers le futur. Il s’égare, puis retrouve son chemin. Il semble perdre son temps, il rêve. Il fait et défait. Au bout du compte, il débusque une idée de génie.
Oui, il me viendrait bien une idée…
Posté le : 14/06/2013
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