DIVERS - Fan fiction
Naissance d'un Spartan - Le bâton de Franck
Chapitre 1. Baby Foot
13 septembre 2517. Dix jours avant l'enlèvement des futurs Spartans-II (calendrier militaire) / Système stellaire Eridanus, planète Eridanus 2, Elysium City.
La plupart de ses camarades connaissaient le pourquoi de ce surnom. Et pour cause, c'étaient eux qui lui avaient donné. Son véritable prénom était Charly. Il était né il y a 6 ans et 10 mois sur Elysium City dans la célèbre Maternité robotisée CARETTE ; du nom de la femme qui avait démocratisé l'utilisation des robots-soin sur les champs de bataille. Ceux-ci donnaient du temps supplémentaire aux médecins en s'occupant de tâches de microchirurgie. Elle avait mis toute son énergie à organiser ces démarches, à faire appliquer des lois au niveau du CSNU.
C'est elle aussi qui géra la distribution des membres bioniques sur le terrain, et de la dernière version du robot d'aide à la chirurgie baptisé Da Vinci VII dont la première version datait du 21ème siècle. Elle travaillait dans une structure équivalant à un Ministère de la Santé. A la fin de la guerre, cette femme reçut la reconnaissance de ses pairs et du peuple pour ses services rendus à la Nation.
La gestation de Charly s'était donc bien déroulée. Il était né à terme, pesait un peu plus de 5 kilos et mesurait 51 cm. Sur la courbe de taille de son carnet de santé micromisé et injecté sous son épiderme derrière l'oreille, comme tout nouveau-né, le logiciel avait programmé une taille adulte avoisinant les 194 centimètres. C'était encore loin des 2.30 mètres que ferait un jour son ami John après les améliorations du programme Spartan… Mais pour l'instant il était rapide, et John avait souvent du mal à le mettre au bas du monticule quand ils jouaient au" Roi de la Colline "avec les autres.
Tout c'était donc bien passé durant la grossesse, à part un petit détail… Charly partageait l'utérus de sa mère avec un jumeau parasite passé inaperçu malgré la technologie de pointe. Ce dernier ne s'était pas développé. Plus tard après la naissance, les neurochirurgiens pédiatriques qui pensaient avoir à faire à une tumeur cérébrale congénitale, découvrirent un petit pied et des fragments d'autres membres de ce frère ou de cette sœur, dans le crâne de Charly. Charly fut opéré à l'âge de 3 ans. Une incision de sept centimètres fut faite au niveau de son lobe temporal droit, devant l'oreille. Depuis, tous les six mois, l'enfant devait subir des tests sanguins réguliers et une vérification que la zone cérébrale qui avait souffert d'écrasement ne montrait pas de signe dérangeant ou alarmant d’un anévrisme.
Ce n'est qu'à l'âge de ses quatre ans, que les parents de Charly lui confièrent la vérité. Le garçonnet avait depuis longtemps remarqué cette cicatrice à travers sa chevelure, qu'il touchait souvent de manière instinctive quand il suçait son pouce. Parfois il racontait à sa mère les rêves qu'il faisait où il se voyait jouer avec lui-même. Ses questionnements avaient décidé les parents à expliquer l'événement à leur garçon unique.
Depuis ce jour, Charly – loin d'être perturbé par cette nouvelle - clamait haut et fort à qui voulait l'entendre qu'un "little foot" (petit pied) avait été trouvé dans sa boîte crânienne. A partir de cet instant, les copains de sa classe, puis de toute l'école, eurent vite fait de trouver le surnom de leur camarade: "Baby Foot" !
Charly avait une disposition à la course. Son père champion de cette discipline dans sa jeunesse avait passé à son fils le goût de l'effort et du sport. A chaque départ de course à l'école durant le cours d'Education Physique, il imitait le hurlement du loup pour se donner du courage. Au grand étonnement de ses professeurs et de ses camarades. Il y a des choses parfois qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer. C’était son truc pour stimuler son adrénaline voilà tout !
Le résultat était surprenant. Il gagnait toutes ses courses dès lors qu’elles ne dépassaient pas les 5 kilomètres. Des rencontres inter-écoles avaient lieu, mais cela n'entamait pas la détermination de Baby-foot. Il gagnait encore et encore. La classe avait trois étagères où trônaient les coupes de ces rencontres. De son regard espiègle, il chantait à qui veut l'entendre :"petit pied mais… grandes jambes". Et il partait dans un grand éclat de rire qui faisait plaisir à entendre. Cette joie de vivre était communicative, et même ses adversaires lui reconnaissaient sa supériorité sans conteste.
Chapitre 2. La bombe
23 septembre 2521. 05h30. Camp d'entraînement de Reach.
Cela fait 4 années tout juste que John et tous ceux et celles du programme S-II ont été "kidnappés". Mais aucun n'avait fait le rapprochement avec la journée qui s'annonçait. Cette date anniversaire ne pourrait être que détestable, et par ailleurs, qui avait retenu le jour exact de leur séparation forcée d'avec leurs familles respectives ?! Par contre aucun n'oubliera ce jour où leur vie a basculé. Passant de l'innocence de l'enfance à la dure réalité de la vie d'un soldat. Finies la douceur du foyer et l’insouciance du lendemain ! Terminées les tendres câlins maternels et les fausses bagarres avec son père. Et encore, aucun ne savait que dans deux ans ils auraient à subir les atroces traitements des premières améliorations génétiques.
Quatre ans à oublier la douceur des caresses d'une mère, les bêtises avec les copains à l'école, les premiers émois envers une amie, le premier amour d'enfant pour une maîtresse d’école, des couchers dans un lit chaud avec le père qui venait raconter une histoire pour s'endormir, ce même père qui le transportait sur ses épaules. Oublier même son chien Olah qui était comme un frère… Aujourd'hui, John âgé de dix ans, avait même oublié la sensation des larmes sur son visage. Son cœur s'était jour après jour endurci, caparaçonné, à l'instar d'une armure Mjolnir pour le futur super-soldat qu’il allait devenir.
- Debout les femmelettes ! hurla le Chef Mendez. Les jeunes adolescents sentaient l'air frais s'engouffrer dans le baraquement de la caserne malgré les couvertures. Il allait faire froid aujourd'hui. Et quelle sorte d'entraînement les attendait ?
- Dans cinq minutes, tout le monde au mess! Avalez votre petit déjeuner fissa et retrouvez-moi dans la cour près du drapeau, lança leur formateur.Même le plaisir du manger était gâché par la précipitation. Il fallait aller vite; tout le temps.
- Fais chier la Merguez ! (surnom que les élèves avaient donné à l'Officier-chef Franklin Mendez).
- Ouais ! Va nous faire encore crapahuter dans la neige !
John n'en pensait pas moins, mais il exprimait son avis par un sourire à ses camarades qui en disait long.
Bientôt tous les futurs spartans étaient rassemblés près du drapeau du CSNU, avec leur tenue réglementaire.
- Messieurs ! Amorçant un sourire… "Mesdemoiselles !". Cela fait précisément quatre ans aujourd'hui que vous avez rejoint le Commandement Spatial des Nations Unies. Le Dr Halsey et moi-même avons décidé de vous faire une surprise.
- Je crains le pire, chuchota un élève dans le dos de John.
- La ferme dans les rangs ! Ce soir donc, nous vous avons organisé une petite fête avec musique, danse et buffet à volonté. Vous pourrez assister à un feu d'artifice, un film holographique récent et profiter d'une grasse matinée demain.
Dormir ! Oh oui dormir ! …Ce n'était pas le feu d'artifice, le film ou un bon repas dansant qui fit exploser de joie toutes les recrues, mais pouvoir se lever à l'heure que l'on désirait ! Ca, c'était une sacrée belle surprise ! Le calme revint au bout de quelques instants. Mendez avait laissé la joie s'exprimer.
- …Mais tout cela a un prix mes chers petits !
- Qu'est-ce que je disais ! marmonna l'élève derrière John. "Empaffé de Merguez !" John souria à cette nouvelle insulte. Mais curieusement, ce genre d’injure ne lui venait pas à la bouche ni même à la pensée. Un instructeur de Spartans était intouchable à ses yeux. On lui devait le respect absolu... mais apparemment tout le monde ne pensait pas comme lui. Et puis c'était tant mieux que chacun garde un peu d'individualité.
- Donc, je veux que vous formiez des équipes de 7. Vous êtes 64. La moitié de votre groupe ira rejoindre les cours de stratégie. Sachant que Sonia, Samuel, Jeremy et Axel sont à l'infirmerie pour blessures, cela fera combien d'équipes ?
- Quatre ! Crièrent immédiatement et d'une seule voix les élèves. L'enseignement mathématique de l'Intelligence Artificielle « Déjà » faisait ses preuves. Et le choix de l’enlèvement de ces enfants ne devait rien au hasard, il avait été savamment orchestré.
- Vous aurez trois heures pour effectuer votre mission. Vous vous rendrez par vos propres moyens au Camp Hathcock dans les Highlands Mountains. Prenez les vêtements qui s'imposent. Passez à l'armurerie prendre vos effets et vos armements factices. Votre mission consiste à mettre un explosif à un point stratégique de l’entrée du camp, actionner la charge, et revenir tous les sept en me mentionnant la couleur de l’explosion… Des questions ?
- Chef, non Chef ! Cria le contingent. Chacun repris le chemin de son baraquement en courant, récupérer les affaires conséquentes pour cette mission.
Des groupes se constituèrent rapidement par affinité dans la cour. John n'eut pas à attendre, cinq secondes ne s'étaient pas écoulées avant qu'un groupe de 6 engagés ne s'empresse près de lui. Pas de surprise : il y avait là celles et ceux qui l'appréciaient le plus et réciproquement. Tous s'échangèrent des sourires ou des coups de coude.
D'évidence John allait être leur meneur, leur leader, la lumière qui éclaire dans l’obscurité, l’étoile qui guide le voyageur. Il le comprit vite et dit gravement :
- Nous allons remplir notre mission et revenir sans une égratignure.
- On te suit John… Souligna Johanna.
Le groupe partit d'un pas alerte mais sans courir. L’esprit de déduction de John était déjà en ébullition : Trois heures ! Environ deux pour grimper au minimum, moins d’une heure pour descendre, ça laissait quelques minutes pour poser la charge factice. Le temps était compté. Tout en allongeant le pas, son regard s’attardait sur le chemin, anticipant le meilleur trajet.
Ainsi, l’ascension se fit sans encombre. Les chemins herbeux ou pierreux n’avaient pas provoqué de foulures, ni de glissades. La neige n’arrangeait rien. Franck avait juste reçu une branche en pleine face à cause de Johanna qui la retenait pour passer un endroit escarpé, et la relâcha trop vivement. Telle la lanière d’un fouet, la branche zébra le visage de Franck, lui laissant une marque rouge qu’il garderait quelques jours.
-Putain fais gaffe ! Ça pique !
- Oups, vraiment désolé Franck.
Il avait eu mal, et puis les coups il connaissait. Mais son visage n’avait manifesté aucune colère envers sa camarade… Un autre visage revint à sa mémoire : celui de son père (enfin l’homme auprès de sa mère). Franck n’avait jamais apprécié cet homme qui avait pris la place de son vrai père.
- « Beau-père ! » Tu parles d’un nom ! D’abord t’es pas mon père et t’es même pas beau ! Lui lança-t-il vers l’âge de six ans. Pour cette rébellion passagère il reçut immédiatement des coups de cravache que cet homme cavalier avait toujours sur lui. Depuis ce jour Franck refusa de manger du cheval et il s’était juré de ne plus jamais recevoir de coups d’aucune sorte. Plus tard il serait le protecteur des enfants pensait-il tout bas. Sans savoir qu’un jour il serait un des protecteurs de l’Humanité.
Le groupe avançait. Le passage de rivières à demi-gelées retenait toute sa concentration. Les bottes étaient bien serrées par les lanières de cuir et chacun portait attention où il posait les semelles. Si cela avait été le cas, une mauvaise chute et il aurait fallu abandonner. John se rappelait des paroles de Mendez : «…revenir tous les sept ». Abandonner n’était pas dans son vocabulaire, et ne le serait jamais.
John reconnaissait à ses coéquipiers une grande valeur individuelle. Ils ne se seraient pas amuser à se faire mal, d’autant que durant ces quatre années d’entraînement ils avaient bien appris sur leurs limites physiques. Par compassion John lâcha tout de même : « Faites gaffe où vous marchez ! »
96 minutes plus tard, les enfants arrivaient en vue du lieu stratégique. Là où la charge devait être posée. Aucun autre groupe ne les avait devancés. La fierté de cette première victoire se lisait sur les visages, rougis par l’effort.
Seul Luigi avoua : « On est bon quand même. On va gagner cette putain d’épreuve ».
Mais tant qu’une chose n’est pas, nul ne peut affirmer qu’elle sera. Il restait à poser la bombe et rentrer sans dommage. Tous les sept.
Le groupe avança prestement vers la porte principale du camp qui était gardée par deux Tourelle AIE-486H. Les 3 fûts de leur canon étaient dirigés vers les enfants et un soldat faisait le planton devant chaque mitraillette lourde. Les futurs Spartans avaient appris durant leurs cours que cet endroit d'un haut niveau de protection servait en cas de retraite, pour des chefs d'Etat, des dignitaires ou des hauts gradés.
Aujourd’hui il fallait faire semblant d’exploser ce lieu, mais un jour viendrait où il faudrait réaliser réellement un tel fait d’arme.
C’est Luigi qui portait la « bombe ». Tandis que les autres s’arrêtèrent à une centaine de mètres pour récupérer rapidement de leur montée hâtive, ce dernier plus frais physiquement courut vers la porte. Et plus il avançait, plus il cherchait la marque qui devait préciser le lieu de dépôt de la bombe. Tout en courant, il se retourna et cria au groupe en général et à John en particulier : « Où faut la poser cette foutue bombe ? »
Une demi-seconde plus tard, il entendit un des soldats lui crier par haut-parleur interposé :
- Stop ! Tu vas où gamin ?
- Vous exploser votre château de cartes ! Vous avez entendu parler de la Noble Team ? …Hé ben c’est nous !! Plaisanta Luigi. Les soldats n’avaient rien entendu de par la distance.
- Arrête gamin, on a des ordres. Tu es trop près ! Va jouer ailleurs !... ce que Luigi ne savait pas – et aucun autre enfant de toute la promotion - c’est que les gardes du camp n’avaient pas été prévenus de ces entraînements. Par ailleurs, avec les drones surveillant le camp, le groupe avait été repéré depuis longtemps ; mais pas au départ de la base, une heure et demi plus tôt. Les soldats s’attendaient donc à cette visite mais on ne plaisantait pas chez les Marines même avec des enfants.
- Dernière sommation ! cria le même militaire. Il dit cela au moment exact où le porteur de bombe passait une ligne rouge au sol, précisant que la limite de 50 mètres de sécurité venait d’être franchie.
- J’ai trop peur les mecs ! Inconscient du danger qui s’annonçait, Luigi avançait encore et encore. Et pour agacer encore plus les tireurs, il s’amusa à exécuter des déplacements latéraux. Cette erreur provoqua une crispation du doigt sur la détente du Marine surpris. Son excellente audition doublée d’une aussi bonne vision le firent se renseigner sur le cliquetis qu’il entendait. Celui des tourelles qui commençaient à ronronner. Dans moins d’une seconde elles allaient cracher le feu de l’enfer dans sa direction.
- Merde ! A quoi y jouent ?!
A moins de quarante mètres il entendit les balles sifflaient à ses oreilles et d’autres qui se fichaient dans le sol sableux. Il tint fermement la bombe et tout en avançant, il s’enfuit sur le bas côté pour se cacher avec les rares rochers alentour et quelques arbres. Il continua sous le déluge de feu. Maintenant il entendait le son des tourelles. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la peur ne le paralysait pas. Son taux d’adrénaline supplantait celle-ci. Il resta dissimulé derrière un rocher d’à peine un mètre de haut. Par réflexe et ayant mémorisé la position des armes, il tendit ses muscles, poussa un cri et lança énergiquement la bombe qui effectua une vingtaine de mètres, puis roula encore quelques instants malgré sa forme cubique. Elle s’arrêta à moins de trois pas des canons des tourelles. Bien que surpris lui aussi, John qui possédait le déclencheur de la bombe l’actionna immédiatement. Mais les tireurs avaient déjà tiré sur le projectile. Une forte explosion se fit entendre mais aucune onde de choc n’en sortit. Les 800 grammes de peinture rouge vif s’étalèrent sur les murs du bunker. Cela signa la réussite de la mission. Des hourras crépitèrent au sein du groupe. Et aucune autre équipe n’avait encore atteint le sommet.
Les soldats n’avaient pas quitté leur position. Et l'effet de surprise passé, ils reprirent vite leurs esprits, le temps d’admirer la nouvelle couleur de leur uniforme.
Luigi avait déjà repris le chemin du retour en se dirigeant à toute vitesse vers son groupe. Il zigzaguait dans le chemin, et entre les roches et les arbres. Il se jeta tête et bras en avant dans l’abri tout relatif de John et de ses coéquipiers.
- Putain mais qu’est-ce qui s’est passé ! C’est des vraies balles ! Hurla Luigi dont les jambes commençaient à trembler. « J’ai failli me faire dessus ». L’objectif semblait être atteint. John ordonna le repli immédiat.
- Tu étais près de la bombe ? Demanda Gabrielle à Luigi.
- Pourquoi tu me demandes ça ?
-Ben t’as de la couleur rouge sur le bras. Le garçon toucha son membre à mi-hauteur et sentit une douleur légère. Un des premiers projectiles l’avait effleuré, déchiré au passage sa tenue mais il n’avait rien ressenti jusqu’à cet instant.
-Pas grave, on dégage d’ici !
John acquiesça d’un hochement de tête. Les six jeunes le suivirent tandis qu’il reprenait le même chemin qu’à l’aller. Les mitraillettes reprenaient leurs tirs, mais les balles déchiquetaient des arbres éloignés d’eux. Les tireurs avaient compris qu’ils s’agissaient d’un entraînement. Et ils ne tarderaient pas à recevoir un appel de la base pour qu’ils ne tirent pas sur les prochains groupes.
Bientôt ils étaient hors d’atteinte et légèrement en contrebas. Ils amorçaient leur rentrée dans une partie boisée. Dans une grosse demi-heure maximum ils seraient de retour à la base. Mais il ne fallait pas traîner. Cependant John ne voulut pas imposer un rythme soutenu, l’important c’était d’avoir rempli la mission. Mais les autres tenaient à arriver les premiers.
Un instant plus tard, ils croisèrent un autre groupe, dirigé par Sylvine, la major de la promotion en cours. Elle n’ouvrait jamais ses bouquins pour réviser, retenant au fur et à mesure ce que disaient les professeurs. C’était la plus grande, niveau connaissance, et paradoxalement c’était la plus petite en taille de la promotion. Mais elle était très agile. C’est elle qui ferait exploser sa bombe et serait bientôt sur leurs traces.
- Faut pas traîner ! Ils avaient l’air en forme… Pas aussi essoufflés que nous. Et eux ne vont certainement pas se recevoir de balles. Dit Steven. Maintenant c’est facile c’est que de la descente ! Go ! Go ! Go !
Chapitre 3. Le bâton
L’équipe de John entamait cette descente avec moins de précaution qu’à la montée. Etre les premiers, procure souvent cette excitation qui diminue les réflexes de survie. Steven était en tête, suivi de Franck puis Johanna et les autres. John fermait la marche. Cette marche qui petit à petit, vu l’angle de descente, se transformait en course. Les jeunes gens respiraient vite, ils faisaient de petits pas rapides, évitant les racines et les pierres sur leur chemin, les mains s’appuyaient sur les troncs d’arbres pour s’équilibrer. L’angle de la montagne était important et il était facile de se laisser embarquer par la vitesse de leur course. L’humidité du sous-bois et la neige au sol étaient un danger que Johanna ne put appréhender. Sa volonté de gagner était plus forte que sa concentration. Soudain elle poussa un petit cri aigu de fille quand son pied se ficha sous une racine. Elle suivait de trop près Franck et n’avait pas vu la souche. Ses réflexes lui permirent de mettre ses mains en avant et d’effectuer une première roulade sans se blesser, mais la vitesse de la course la fit rebondir et elle décolla du sol pour une prochaine roulade qu’elle n’assura pas. Comme un jeu de domino elle percuta son équipier de devant qui à son tour heurta Steven.
Trois corps maintenant déboulaient à vive allure. John avait prédit ce risque mais il était impuissant à l’arrière. Spectateur, il espérait que cela se terminerait bien. Les trois enfants ne contrôlaient plus rien. Tout se passa très vite sur quelques mètres. Ils roulèrent avec des bruits étouffés puis s’arrêtèrent brusquement.
- Tout va bien ? cria John.
- Putain Johanna, qu’est-ce que t’as foutu ! S’énerva Steven qui se relevait rapidement. La jeune fille avait un hématome au dessus de l’arcade sourcilière qui grossissait à vue d’œil. Elle avait durement rencontré un rocher, elle avait mal mais ne se plaignait pas. Franck restait au sol et John s’approcha de lui.
- Franck, ça va ? Dis-moi que ça va ! S’inquiéta John.
Franck émis un son sourd qui ne présageait rien de bon, il était recroquevillé sur le côté. Ses mains blottis contre son abdomen. John voulut regarder. Il bascula lentement son ami sur le dos et vit que son visage était pâle. Franck poussa un long gémissement de douleur. Un geignement qu’un loup dans les parages aurait pu reconnaître comme l’appel de détresse d’un congénère.
Durant sa chute, une branche morte avait transpercé sa veste et s’était profondément enfouie dans son corps, au niveau droit de l’abdomen.
- Touche pas, touche pas ! supplia Franck. Son visage exprimait une souffrance digne.
- Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ! Sanglota Johanna dont l’hématome lui fermait presque l’œil droit.
- C’est pas le moment de chialer, on garde son calme ! On oublie la mission. De toute façon on a fait ce qu’il y avait à faire. Dit Steven avec rage. C’est pas ta faute, ajouta-t-il.
- Merde, merde, merde ! J’arrive pas à l’amorcer… Jade parlait du flacon de Biofoam. Cette mousse miraculeuse qui avait sauvé tant de Marines sur les champs de bataille.
- Panique pas Jade. Donne-moi ça. Dit John. Il prit la bouteille, la désopercula en refaisant les gestes du cours de secourisme. On entendit la réserve de gaz s’amorcer. Franck fixait du regard le flacon salvateur et restait gravement silencieux. Il est exact de dire que les grandes douleurs sont muettes. Son visage devenait de plus en plus pâle.
- Ca va aller Franck.
- Regardez ! Dit Jade en pointant du doigt le haut du parcours. C’est le groupe de Sylvine.
Bientôt le groupe rejoignit leurs concurrents. Sylvine en tête. Son uniforme était couvert de peinture jaune. Lors de l’explosion de sa bombe elle n’eut pas le temps de s’en écarter ou alors, pressa-t-elle trop tôt le déclencheur avant qu’elle ne se mette à l’abri en sécurité… elle avait encore beaucoup à apprendre, comme tous les autres.
Cela lui serait reproché par les instructeurs à son retour au camp, elle en était sûre. Mais Sylvine n’était pas du genre à se laisser rabaisser. Les leçons de moral des adultes, ça allait bien un moment. Elle pourrait toujours dire que la mission était tout de même remplie. Voilà ! C’est ce qu’elle dirait. Et basta ! Pour l’instant elle stoppe près du groupe de John et voit bien sur les visages qu’elle rencontre, que la situation est critique.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- C’est Franck ! Il a un gros morceau de bois dans le ventre. Expliqua Johanna dont l’œil droit était maintenant complètement fermé par l’accumulation de sang sous la peau.
- Meeerde ! Vous avez votre Biofoam ?
- Oui. Dit John. Mais j’ose pas retirer le bâton. Il est profondément enfoncé on dirait.
Sylvine s’approcha du blessé et revoyait ses cours de secourisme mentalement, elle lista les signes que présentaient Franck : un pouls rapide, une peau moite et froide, une sensation d'étouffement et une grande anxiété, des frissons et des sueurs froides… Le tableau parfait pour une hémorragie interne. Ce n’était pas à prendre à la légère. De plus, il faudrait presque une heure pour redescendre.
- Tu as soif Franck ?
-Bon sang Johanna ! C’est la dernière chose à faire. Soupira Sylvine. Elle se tourna vers John.
- Il faut retirer le bâton.
Les quatorze jeunes gens avaient oublié le retour. Tout le monde se fichait bien d’arriver le premier, maintenant. Sylvine posa sa main sur le front de Franck et jeta un regard vers Steven et John, qui signifiait « aidez-moi à le tenir ». Elle savait qu’elle prenait un risque mais elle savait aussi que sans secours extérieur, Franck ne survivrait pas suffisamment de temps. Elle observa le bâton. Pris une inspiration en approchant délicatement la main droite du pieu de quatre centimètres de diamètre. Brusquement elle saisit le bois et tira en un geste franc et rectiligne. Franck hurla. John redoubla sa pression sur les jambes et Steven sur les épaules.
-Vite maintenant. Mets le produit ! John lâcha les jambes et introduisit l’embout dans la cavité et actionna le mécanisme. La mousse semblait se dispersait autour des organes internes. L’abdomen de Franck sembla gonfler et se durcir quelque peu. John vida tout le contenu. Franck avait les yeux fermés, le visage grimaçant il subissait sa douleur.
-Ca va aller ! T’endors pas. Sylvine regarda John et lui fit une grimace qui voulait dire : « on peut rien faire de plus pour l’instant ». Elle se tourna vers son groupe.
-Si tout le monde est d’accord, je propose que quelqu’un de notre équipe passe dans celle de John, pour qu’ils soient sept en arrivant au camp ! »
-Pas question ma belle. J’apprécie ton geste mais je reste avec les miens.
-Ok ! Alors que deux d’entre nous passent dans le…
-N’insiste pas Sylvine. Merci mais c’est non. Conclura John.
-Pareil, je reste ! Ajouta Steven
-On reste tous évidemment ! Culpabilisa Johanna.
Le groupe de Sylvine décida de passer devant, dans le but unique de prévenir les secours de retour à la base. Elle prévint ses coéquipiers de faire attention où ils posaient les pieds.
John et Steven soutenaient Franck. Sans hâte ni précipitation le groupe descendait la montagne. Le blessé avait retrouvé une couleur légèrement rosée. Ce qui voulait dire que la blessure interne était temporairement colmatée et que le sang circulait mieux dans le corps. Mais rien n’était gagné. Leur ami pouvait mourir à tout instant dans leurs bras. En quatre ans d’exercices, ils n’avaient jamais vu un des leurs succomber. Des blessés, même graves oui ! Mais des morts jamais. Ce qu’ils ne savaient pas, ce qu’on leur cachait, c’est que les recrues blessées aux entraînements mourraient parfois sur leur transport à l’hôpital. Mais on leur servait une explication suffisamment plausible pour qu’aucun d’eux ne se questionne plus.
Le sous-bois était maintenant derrière le groupe. C’est maintenant une clairière qui s’étendait devant eux. Loin, très loin encore la base se dessinait dans la vallée. Franck ne parlait pas, remué par les soubresauts des porteurs.
-On arrive dans combien de temps ? Questionna Gabrielle.
-A ce rythme là : 40 minutes. Calcula Steven.
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Sylvine avait lâché son groupe et était partie en avant. Elle savait gérer sa vitesse dans la descente qui était maintenant moins forte. Elle courait bien plus vite que les autres. Dans une dizaine de minutes elle passerait les gardes de l’entrée du camp et leur dirait pour Franck. Elle entamait la course la plus importante de sa vie.
-Vite vite ! On a un blessé… avec un pieu… dans le ventre... suffoqua d’épuisement Sylvine en parvenant aux gardes. Faut aller… à leur rencontre. Il va… mourir si on se presse pas. Vite !
Le garde gradé à sa gauche – un adjudant - appliqua son index sur l’émetteur-récepteur de son oreille. Il n’avait pas l’air de s’affoler.
-Mon Commandant, un blessé par perforation stomacale nous est signalé.
-Est-ce qu’il marche ? dit la voix.
-Il peut marcher ton copain ? Se renseigna le soldat à la fille.
-Je…j’en sais rien, quand je les ai quittés il était au sol.
-Il marchait oui ou non ? Cria le garde.
-Non… Oui, il pourrait peut-être… oh et puis j’en sais rien moi !! Répondit Sylvine pour qui les secondes étaient des minutes. « Envoyez un hélico, merde ! »
-Alors ? Patienta la voix.
-La gamine ne peut pas répondre, mon Commandant ! …un long silence bourdonna à la tête de Sylvine. Puis la radio reprit :
-On voit venir ! On attend. Raccompagnez la recrue à ses quartiers.
- A vos ordres mon Commandant. Avec nous mademoiselle.
-Comment ça « avec nous » ?
-Votre mission est terminée S-116, venez débriefer.
-L’hélico va décoller ?
-Suivez-nous !
-Répondez-moi ! Sylvine avait saisi la situation, elle hurla en direction de son supérieur :
-Pas question que je rentre ! Je retourne là-bas et c’est pas toi qui va m’en empêcher. L'agacement de la Spartan lui faisait oublier le respect de la hiérarchie. Désobéir à un supérieur n'était pas envisageable.
-Je vous ai donné un ordre Spartan ! Cria l’homme alors que la jeune fille avait déjà parcouru presque 20 mètres. Elle fila vers son groupe qui allait bientôt la rejoindre.
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-…Pourquoi il fait nuit ? S’inquiéta Franck
-Tu veux dire quoi mon frère ? dit Steven en regardant John qui portait le haut de son ami.
- La température est descendue, c’est la nuit. J’ai froid. Franck blanchissait à nouveau. Johanna se bouchait les oreilles. Les autres baissaient la tête tristement sous le soleil.
-On y est presque. Mentit John. Le trajet était interminable…
-Pourquoi vous avez demandé à mes parents de nous accompagner ? Grelotta Franck.
- Ils sont fiers de toi Francky ! Ils sont venus fêter notre victoire. Ce soir c’est la fête à la base ! Inventait John au fur et à mesure.
- J’ai sommeil. Réveillez-moi quand on arrive.
-Non Franck ! Faut rester éveillé. Franck tu es blessé, tu as eu un morceau de bois dans le ventre. T’as reçu du Biofoam. Maintenant on te ramène au camp. Les secours vont arriver. Reste avec nous Franck ! Supplia Gabrielle… Le groupe accéléra sa marche tant qu’il put. Johanna vint aider les garçons à porter.
-Je suis désolé papa. On va perdre à cause de moi. Tu n’aurais pas dû revenir. Franck délirait et cela ne rassurait pas ses amis.
Sylvine rejoignait son groupe, elle savait qu’il n’y avait rien de plus à faire. Elle expliqua rapidement la situation à ses équipiers.
-Faut trouver un véhicule ! dit l’un d’eux.
-T’as raison. Faut qu’on se bouge ! Les jeunes s’écartèrent en étoile et chacun courut dans sa direction priant pour trouver une solution…
-Arrêtez-vous les gars ! On entendait à peine ce que disait Franck. « Maman reste près de moi. Maman ».
Le biofoam avait-il mal été utilisé ? Toujours est-il que la conscience de Franck se perdait dans les abîmes de son cerveau.
Le groupe de Sylvine ne trouvait toujours pas de solution. Les autres groupes arrivaient à leur tour pour désigner la couleur de leur bombe à leur instructeur. Les secours n’arrivaient pas. John et Steven fatiguaient du poids de leur ami mais ne le montraient pas. Franck s’était tu, son corps se faisait plus lourd. Son dernier mot avait été « maman ». Comme c’est souvent le cas. Mais il respirait encore.
-Franck ! Ouvre les yeux ! Franck ! Parle-nous ! dira John. Le mot « maman » l’avait ébranlé, comme tous les autres d’ailleurs, mais sans qu’aucun ne le manifeste. Aucune larme ne coulait.
Il restait 500 mètres avant de franchir la porte d’enceinte du camp. Le groupe courait maintenant. Gabrielle et Luigi avaient remplacé les porteurs. Le groupe de Sylvine revenait bredouille. En fait, la moitié n’avait pas prié assez fort et avaient abandonné les recherches très tôt. Comme si quelque chose les prévenait de l’inutilité de la chose, et du temps qui manquait. Seule Sylvine chevauchait un cheval de trait récupéré dans la première ferme agricole. La cavalière rejoignit avec un lourd galop le groupe de John et s’approcha du blessé.
-Vite mettez-le devant moi.
-Ca va l’achever ! Frémit Johanna.
- On n’a pas le temps. Faut se servir du cheval. C’est moi qui décide. Dit John le futur Spartan en sentant la vie quitter son ami.
Le lourd cheval approcha du camp. Deux blouses blanches venaient à sa rencontre. Ils firent glisser le corps du blessé sur un lit médicalisé. Le sang envahit rapidement les draps blancs. Les autres enfants arrivaient bientôt. Ils furent éloignés du corps de Franck que la blancheur inquiétait. Il n’avait toujours pas parlé ni donner signe de vie depuis plusieurs minutes.
-Où l’emmenez-vous ? Demanda le groupe.
-Où voulez-vous qu’il l’emmène ? Dit Sylvine. « Ils vont le remettre sur pied, c’est sûr… »
EPILOGUE
Trois jours que Franck est parti dans cet hélicoptère. Trois jours sans nouvelles. Le discours des adultes se veut rassurant. Leur ami va bien mais il ne reviendra pas. Le pieu ayant provoqué des complications, il aura fallu faire l’ablation de la rate et un rein avait été touché. Le bâton avait été bien plus profond que supposé. Trois nuits à ressasser les évènements pour essayer de changer le cours des choses. Trois matins à se lever en regardant le lit vide de Franck. Trois journées à étudier près d’une chaise vide… qui allait bientôt recevoir un ou une remplaçante.
« Vas où tu veux. Meurs où tu dois » dit le proverbe. Franck faisait parti des pertes « acceptables » pour le CSNU. Son clone mort depuis longtemps, dormait dans le cœur de ses parents. Quant au vrai Franck, il ne manquerait à personne. Tout du moins hors de ce camp.
Sa mort ne serait jamais révélée aux autres Spartans. Le protocole MIA (missing in action) était aussi l’apanage des jeunes recrues.
...Cela fait maintenant cinq jours que l’accident mortel s’est produit. Le groupe de John essaie d’oublier. Les journées sont bien trop remplies pour penser. Les exercices succèdent aux exercices, des entraînements chaque jour. Le travail d’équipe est mis à contribution et tout est mis en œuvre pour que les jeunes Spartans deviennent ce qu’on attend d’eux.
Cet après-midi, il y a activité Course. La promotion est divisée en deux groupes. C’est Sylvine qui gagnera sa course et fera même le meilleur temps de la promotion.
-Petit pied mais… grandes jambes ! S’esclaffa Sylvine sous les applaudissements.
Petit pied mais… grandes jambes ! Résonnèrent les mots. A cette expression nostalgique rejaillie du passé, John sentit quelque chose de chaud couler sur son visage. Ce n’était pourtant pas la transpiration de sa course. Cela était bien plus chaud. La sensation des larmes coulant sur son visage lui était revenue. Les larmes retenues pour Franck avaient trouvé leur chemin. John essuya discrètement cette preuve de fragilité qu’il ne devait pas montrer.
Mais avait-il déjà imaginé que chaque nuit dans le lit d’un dortoir, sous la boue accumulée lors d’un entraînement extérieur un jour de pluie, ou accroupi près du dernier lavabo dans la salle des douches, un autre enfant avait dû aller se cacher pour ne pas montrer cette « fragilité » aux autres.
Ces futures « machines à tuer », ces défenseurs de l’Humanité, ces héros aux yeux de tant d’hommes et de femmes… Combien de temps encore, allaient-ils garder leurs émotions humaines ? Combien de temps avant de rire pour la dernière fois ? Combien de fois pleurer encore ?
Posté le : 06/05/2010
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